9/10Le Monde d'Arkadi

/ Critique - écrit par iscarioth, le 11/05/2005
Notre verdict : 9/10 - La grande épopée (Fiche technique)

Le Monde d'Arkadi est une très bonne série. On peut d'ailleurs parler avec plus de justesse d'une histoire en chapitres, puisque Caza sait très bien où il veut aller.

Série entamée en 1989, Le Monde d'Arkadi n'est toujours pas une aventure achevée. De 1989 à 1993, cinq tomes paraissent chez les Humanoïdes Associés, au rythme habituel d'un épisode par an. Le sixième tome prend plus de temps à arriver en libraire et débarque finalement en 1996. A partir de là, la série semble mourir. Il faudra attendre plusieurs années pour que Guy Delcourt reprenne la série à son compte. Entre 2000 et 2002, les six premiers tomes sont réédités chez ce dernier, avec de nouvelles couvertures, des modifications de coloration et d'écriture. Un septième tome sort enfin en 2004. L'espoir de voir l'oeuvre majeure de Caza arriver à terme renaît chez les lecteurs.

L'histoire

Années 10 000 de l'ère de la masse. La terre est fixe, immobile. Une moitié est plongée dans l'obscurité. L'autre est brûlée par le jour. D'un coté de la planète, il y a Dité, une ville enfouie sous la glace dirigée par l'ordinateur Hel. De l'autre coté, un pays désert peuplé par quelques nomades ou barbares... Dans le village d'Accaïa vivent Albe la sorcière et son enfant Arkadi, fils d'Arkas le guerrier.

Les Yeux d'Or-Fé

Album d'exposition, Les Yeux d'Or-Fé est un tome assez compliqué. Pour une série que l'on prévoit longue, le premier album est d'une importance capitale : il doit accrocher le lecteur en présentant bien le monde qui va lui être dévoilé, ses enjeux et ses futurs héros. Mais cette présentation ne doit pas être trop lourde. Un premier album qui multiplie les dialogues explicatifs et les clins d'oeil au lecteur devient vite agaçant. Avec Les Yeux d'Or-Fé, l'écueil est esquivé... peut-être un peu trop. L'album nous plonge sans ménagement dans la vie d'une planète inconnue, partagée en plusieurs enclaves, relevants soit de l'univers SF (Dité, la très impressionnante ville en spirale) soit de l'univers Fantasy (Albe et Arkas). La pleine compréhension de ce monde nécessite une lecture très attentive. On ne peut pas saisir le sens des Yeux d'Or-Fé, même partiellement, en parcourant l'album avec légèreté. La lecture de ce premier opus nécessite une pleine concentration. Cette difficulté que le lecteur a à pénétrer le monde d'Arkadi, Caza semble en avoir pris conscience dès le deuxième tome, qui est déjà nettement moins abrupt. Pour faciliter la lecture, Caza a, dès le tome deux, commencé à accompagner son récit d'introductions, cartes et glossaires. Dès les premières pages du premier tome, Le Monde d'Arkadi utilise un champ lexical inconnu et dense qui peut décourager le lecteur. Dité, Or-Fé, le grand extérieur, Hel, OM-6, Pro-mé... Pour bien saisir le sens des mots qui parsèment le tome premier, mieux vaut effectuer une relecture de l'album après avoir terminé les trois ou quatre premiers opus. Tous ces problèmes de structure et de narration ont bien été perçus par l'auteur qui a remodelé l'album pour sa réédition chez Delcourt. Dans une interview, Caza rapporte : « Je me suis aperçu que Les Yeux d'Or-Fé posait un problème de communication : c'était un premier tome un peu compliqué. Il était trop chargé en informations sur des personnages éloignés dans le temps et dans l'espace, sans rapport entre eux à part des parallèles narratifs, qui ont plutôt créé une confusion... [...] Je pense que j'en ai tout simplement trop demandé au lecteur, en tout cas pour un premier tome ! ».

Une bonne articulation

Après ce premier tome un peu déroutant, Le Monde d'Arkadi s'articule méthodiquement, avec plus de finesse. Avant de se pencher sur Arkadi, Caza prend bien le temps de raconter l'histoire de ses parents. Dans la plupart des récits héroïc fantasy, la présentation des personnages et l'amorce de la quête sont deux phases qui s'effectuent rapidement, dans les dix ou vingt premières pages. Une grande place (plusieurs albums) est, dans ce cas atypique, réservée à l'enchaînement des péripéties. Avec Le Monde d'Arkadi, rien n'est précipité. Ce n'est qu'au bout du cinquième tome qu'Arkadi quitte son village et qu'une « quête » ainsi qu'un trio de héros se dessine. A partir de là, on peut croire que le récit va sombrer dans un cheminement beaucoup plus consensuel, avec des personnages ultra-caricaturaux et un parcours prévisible. Il n'en est rien. La typologie des personnages et leurs relations surprend. Pan-Dra la guerrière s'avère être le personnage dominant, une figure féminine mais très virile, au rôle paternel pour Arkadi qui doit, avec ce voyage, s'affranchir en tant qu'homme. Radon, avec ses très impressionnantes et fréquentes mutations, déroute. Tout au long de l'aventure, les personnages évoluent physiquement et psychologiquement d'une façon complètement métamorphique. La quête entamée ressemble plus à un long exode qu'à une aventure rocambolesque. Ainsi Le Monde d'Arkadi, tout en s'inscrivant clairement dans la veine HF, évite les clichés habituels du genre qui rendent souvent l'histoire prévisible au plus au point. D'un album à un autre, il est très difficile de prévoir quelle tournure le récit va prendre. Cette originalité dans le scénario est soutenue par une grande maîtrise de l'esthétique HF et par une impressionnante inventivité graphique.

Un style à part

A priori, le dessin de Caza est habituel. Dessin modelé au trait, trames en hachures parallèles, traits en petites touches et pointillés... Tout, des trames jusqu'au modelé, renvoie à une technique très classique. Pourtant, à la lecture des Yeux d'Or-Fé, on peut se rendre compte que Caza a été l'un des premiers à incorporer l'ordinateur dans ses techniques de représentation. Pour mettre en image R.I-10, Caza, en 1989, fait appel à l'infographique. Il est l'un des premiers dessinateurs à prendre en compte les capacités de l'ordinateur dans son travail. Début des années 2000, alors que la pratique s'est généralisée, Caza continue toujours dans cette voie et fait partie de cette catégorie d'auteurs qui incorpore dans sa méthode les techniques de lettrage et de coloration permises par la micro-informatique. Mais, au-delà de toute technique, le dessin de Caza, c'est avant tout une atmosphère unique. Ce qui fait la bonne série HF, c'est cette envie que ressent le lecteur d'en apprendre toujours plus sur le monde qu'il découvre. C'est l'envie qu'a le lecteur de percer les secrets d'une planète, d'un peuple, d'un royaume... Cet engouement est en grande partie stimulé par l'univers graphique restitué. Tout dans Le Monde d'Arkadi : la pierre, les écailles, les vêtements, le bois, les couleurs orangées et verdâtres... Absolument tout, semble venir d'une autre planète, d'un autre univers. Le récit héroïc fantasy nécessite toujours un gros effort d'imagination pour reconstituer un univers ethnologique, paysager et naturel harmonieux et passionnant. A ce niveau, Caza remplit pleinement son contrat. L'univers d'Arkadi (Le grand extérieur, Noone, Dité) fascinera les amateurs du genre, qui pourront passer de longues minutes à scruter des yeux les esthétiques et paysages élaborés par l'auteur.

Le château d'Antarc

Huit années séparent les tomes six et sept. Noone est sorti courant 1996 et c'est fin 2004 que, chez Delcourt, est paru Le Château d'Antarc... « Enfin la suite de la saga » clame l'autocollant publicitaire. Entre les dernières pages de Noone et les premières du Château d'Antarc, il n'y a, scénaristiquement, que quelques minutes. Dans la réalité de la production, il y a huit ans. Le décalage entre les deux opus est grand, pour un scénario dont l'action s'est jusqu'alors articulé normalement. Pour s'en rendre compte, il suffit de regarder la façon dont est présenté le Château à la fin du tome six et au début du tome sept. A la fin de Noone, le ciel est d'un violet simple et dégradé. Début du septième tome, il parait beaucoup plus travaillé, très certainement à l'ordinateur. Les notes de musique qui parsèment les dernières pages du tome six sont de simples figures dessinées, orangées. Début du tome sept, ces mêmes notes ont une apparence plus floue et transparente. On sent vraiment l'entrée en scène des techniques de coloration par ordinateur. Le dessin de Caza devient plus froid, car plus « informatisé », moins chaleureux car mois humain. Dès les premières pages, une autre chose frappe aussi : Arkadi, Pan-Dra, Jonas et Radon sont très différemment dessinés et coloriés. Leurs apparences, leurs visages, se sont totalement métamorphosé depuis le tome six. Le style employé pour les dépeindre n'est plus le même. Dans l'élaboration de beaucoup de scènes, on sent la présence de l'ordinateur : des écrans rêves d'Or-Fé jusqu'aux galeries de tableaux du château, ce septième tome est truffé de montages photographiques et informatiques. On frôle d'ailleurs souvent l'overdose d‘effets visuels. Mais cette scission entre les tomes six et sept, n'enlève pas à Caza ses grandes qualités scénaristiques et novatrices. Avec Le Château d'Antarc, Caza prouve aux lecteurs qu'il sait toujours aussi bien raconter les histoires, mettre en scène... Le Château d'Antarc, bien que très explicatif, est bien rythmé. Après un véritable twist dans les dernières pages, et une situation finale pleine de suspense, l'intérêt de la série est totalement relancé.


Le Monde d'Arkadi est une très bonne série. On peut d'ailleurs parler avec plus de justesse d'une histoire en chapitres, puisque Caza sait très bien où il veut aller. Cette histoire en chapitres, donc, se distingue de la proéminente production HF habituelle par une imagination graphique et scénaristique débordante. L'atmosphère créée est unique, l'univers est envoûtant et les personnages sont attachants. Le seul bémol a apporter est cette rupture entre les deux derniers tomes. L'avenir nous dira, avec la publication des derniers épisodes, si cette peur était fondée.


Liste des albums (mise à jour le 2 octobre 2007) :

Tome 1 - Les yeux d'Or-Fé (1989)
Tome 2 - Le grand extérieur (1990)
Tome 3 - Arkadi (1991)
Tome 4 - La corne rouge (1992)
Tome 5 - Les voyageurs de la mer morte (1993)
Tome 6 - Noone (1996)
Tome 7 - Le château d'Antarc (2004)
Tome 8 - Pierre de Lune
(2007)