7.5/10Petites éclipses

/ Critique - écrit par iscarioth, le 23/05/2007
Notre verdict : 7.5/10 - Fermenté à point (Fiche technique)

Tags : jim fane personnages petites eclipses livre dessin

Résolument optimiste et humaniste, Petites éclipses, tout en étant très marqué par les personnalités de Jim et Fane, est imbibé de l'essence de la collection Ecritures : de l'ambition narrative au service d'un récit des plus humains.

Pour une surprise, c'est une surprise. Un roman graphique épais d'environ trois cent pages, édité par Casterman, dans la collection Ecritures : s'il y a bien un endroit où l'on ne s'attendait pas à retrouver Jim, le scénariste symbole de la BD de supermarché, c'est ici.

Qu'on ne s'y méprenne pas, nous n'avons jamais eu de mépris pour l'auteur. Avant de sombrer dans la facilité des BD à thèmes de chez Vents d'Ouest et Jungle, Jim a fait forte impression en scénarisant Fée et tendres automates sous le pseudo de Téhy, mais aussi en faisant vivre de belles premières heures au genre thématique. Souvenez vous de certains albums, qui n'ont pas eu à démériter face aux « créations d'en face », comme La Honte, en collaboration avec l'excellent Olivier Pont. Ici, Jim revient à une bande dessinée moins industrielle, sans les gags en une planche, sans le fatras de l'humour par secteur et par sujet. En 2004 et 2005, Jim et Fane ont réalisé, ensemble, à quatre mains, le scénario et le découpage de leur histoire, Petites éclipses. Un véritable petit exercice d'improvisation, de répartie, un jeu entre les deux auteurs. L'un et l'autre ont créé chacun trois personnages et les01_250_01 ont fait vivre. Les dialogues transpirent le réalisme et le vécu... On se demande pourquoi : les personnages ont exactement le même âge que leurs auteurs, à l'époque où ceux-ci les ont élaborés.

Petites éclipses nous raconte la vie de cinq hommes et femmes approchant de la quarantaine. Le démon de midi possède certains d'entre eux. On n'est plus tout à fait jeune, mais encore loin d'être vieux... On tire un premier bilan de sa vie, et l'éternel débat se pose : raison ou passion ? Raison du mari, du père ? Passion de l'amant, de l'insouciante fornication ? Six personnages se retrouvent dans une villa, pendant quatre jours, en attendant l'éclipse, et font face, ensemble, à leurs vieux démons. Soirées très arrosées, sexe, débats, déconne, complicité, remords, crises de nerf, déballage des quatre vérités... Dans Petites éclipses, ça parle - je dirai même ça gueule - beaucoup. On retrouve dans les dialogues l'exubérance de l'écriture de Jim, avec ce qu'il faut de gouaille, de vulgarité et de formulation. S'il y a une comparaison à faire, on rapprochera Petits éclipses de l'Autoroute du soleil, de Baru. Sur les visages, on lit cette même fureur de vivre, cette même hargne, cette même surexpressivité. Dans la forme, les deux « romans graphiques » se ressemblent assez : des planches réalisées nerveusement, rapidement, où le coup de crayon est au service du récit. Rapide, esquissé parfois, avec un accent placé avant tout sur les expressions faciales.

02Petites éclipses a les défauts de ses qualités. C'est une boule d'émotivité incontrôlable qui peut charmer mais aussi agacer. Malgré une narration très criarde, parfois enragée (nouvelle référence à Baru), le contenu de l'album charme par sa capacité à nous faire réfléchir, sur la tangibilité des sentiments amoureux et amicaux, sur les notions de fidélité, de courage, d'intégrité... Techniquement, l'album est une entière réussite, le découpage est fluide, presque monotone dans un premier temps, plus surprenant sur le final (les gaufriers pendant la thérapie de groupe, la désynchronisation temporelle). Les pages se tournent frénétiquement, l'album se dévore : le pari est gagné.

Résolument optimiste et humaniste, Petites éclipses, tout en étant très marqué par les personnalités de Jim et Fane, est imbibé de l'essence de la collection Ecritures : de l'ambition narrative au service d'un récit des plus humains.