9.5/10Requiem Chevalier Vampire

/ Critique - écrit par iscarioth, le 14/07/2005
Notre verdict : 9.5/10 - Du jamais vu ! (Fiche technique)

Tags : requiem vampire chevalier tome ledroit olivier mills

Mills et Ledroit, avec Requiem Chevalier Vampire, imposent une performance inédite, qui brise les conventions sclérosées dans lesquelles s'empâtent certains auteurs BD.

Les auteurs

Pat Mills émerge dans l'industrie de la BD britannique dans les années soixante-dix. Le scénariste est connu pour être le créateur de nombreux personnages de renom, dans l'univers des comics : Judge Dredd, ABC Warriors, Nemesis the warlock, Marshal Law... Dans les années quatre-vingt-dix, Pat Mills, déjà perçu comme une légende du neuvième art, se tourne vers la France. Naissent principalement deux projets : Sha et Requiem Chevalier Vampire. En 1996, Olivier Ledroit et Pat Mills présentent leur première oeuvre commune. A l'époque, Olivier Ledroit était surtout connu pour avoir dessiné la série à succès Chroniques de la lune noire.

L'histoire

Heinrich est un nazi mort sur le front en 1944. Il arrive en enfer et fait la rencontre d'Otto qui l'emmène effectuer sa formation de chevalier vampire. Une fois son apprentissage terminé, Heinrich, devenu Requiem, ne peut toujours pas chasser de son esprit l'image de Rebecca, sa compagne juive emportée par la Gestapo...

La beauté du diable

Requiem Chevalier Vampire est une série très inhabituelle. Ce qui frappe évidemment au feuilletage, c'est l'explosivité graphique de l'oeuvre ; une explosivité dans le baroquisme des formes et des couleurs et une explosivité dans le cassage des normes sclérosées du neuvième art. Requiem Chevalier Vampire propose une toute autre façon de concevoir et articuler un récit de bande dessinée. Tous les éléments traditionnels de mise en page sont absents : pas de cadrages à l'encre noire, pas d'intercadres blancs, pas de numérotation des pages. Requiem Chevalier Vampire se lit comme toutes les autres BD, c'est-à-dire de gauche à droite et de haut en bas. Mais, contrairement à dans beaucoup de séries, les images ne se distinguent pas réellement les unes des autres, elles se superposent, s'emboîtent. Ledroit a su tirer parti des plus ingénieuses possibilités qu'offrent les nouvelles technologies. Chaque vignette est réalisée sur une feuille. Les cases sont ensuite assemblées à l'ordinateur pour former une planche. Cette méthode impose un rendu dépourvu de "blancs". Au premier plan, il y a les différentes cases articulant l'action et les dialogues, et, en toile de fond, on observe soit un panorama nous dévoilant avec gigantisme le lieu où se déroule l'action, soit des symboles ésotériques assez oppressants. Un style qui génère une réelle ambiance. Ledroit impose un baroquisme complètement fou, allant jusqu'à l'extrême détail. Très souvent, le dessinateur utilise la couleur directe, qui renforce cette impression de graphisme fouillé et impénétrable. Nos yeux sont absorbés par une effervescence de couleurs. Chaque album impose une maestria dantesque, entre couleurs baroques et formes gothiques. L'univers créé est cauchemardesque, démoniaque, avec des planches sans cesse embaumées d'une teinte rouge. Ce foisonnement, mêlé au thème des enfers, fait beaucoup penser aux tableaux de Jérôme Bosch. La série nous dévoile aussi toute une imagerie construite autour de l'au-delà. On pense beaucoup à ces tableaux et gravures que nous a laissé l'histoire sur les thèmes de la sorcellerie et de la démonologie. Requiem Chevalier Vampire est une bande dessinée qui construit un monde et une ambiance impossibles à transposer sur d'autres supports comme le cinéma. C'est en grande partie pour cela qu'elle doit être considérée comme une série importante dans la progression du neuvième art.

An 11700 de l'ère Dracula

Au vu de l'explosion visuelle que constitue Requiem Chevalier Vampire au feuilletage, on peut préjuger de la série qu'elle sera difficile à cerner, scénaristiquement. En fait, le scénario est mis en image d'une manière compréhensible. Mills est un très bon conteur. Requiem Chevalier Vampire est comme une lente agonie : on observe un débordement d'images au ralenti. Les événements s'articulent parfois théâtralement et lentement, de sorte à ce que nous ne manquions rien. On a l'idée d'une histoire qui communique beaucoup plus par l'image que par l'écrit, d'où l'impression parfois rageante d'être pénétré par le récit sans pouvoir le synthétiser, ni réellement l'expliquer. L'enfer créé par Mills est un véritable univers où les valeurs sont inversées, où le temps s'écoule à rebours, où une hiérarchie distingue les vampires des zombies et autres loup-garous... On retrouve dans l'au-delà toutes les malversations politiques du monde réel : les guerres, complots, luttes de pouvoir, coups d'états... L'enfer nous est présenté sous sa dimension expiatoire ; les scientifiques inventeurs d'armes de destruction massive, les fanatiques religieux, les violeurs, les infanticides... Tous ont un châtiment et une condition définie après la mort... Requiem Chevalier Vampire n'est pas non plus dénué d'humour puisqu'il propose des clins d'oeil à une culture qui est bien celle des vivants. Quelques exemples : le vampire commandant du sang de groupe O dans un bar, le passage au détecteur démoniaque dans un aéroport, le démon nommé « la mégère de l'enfer » qui assomme ses victimes en leur criant « c'est à c't'heure ci qu'tu rentres ? »... Requiem fait aussi référence à des personnages historiques et à quelques films cultes (King Kong dans le tome 2 et L'Exorciste dans le tome 4). Le contenu de Requiem est très paradoxal : le monde présenté est d'une grande originalité et d'une importante profondeur et, en comparaison, les personnages sont tous assez basiques. On comprend assez vite les rapports de rivalité et l'on s'identifie immédiatement à Requiem.

Portier de l'enfer

La lecture de Requiem, malgré ces nombreuses pointes d'humour, est souvent angoissante. Les auteurs ont choisi une imagerie particulièrement obsédante et gênante. En plus du maelström d'images et de personnages cauchemardesques, le lecteur doit faire face à la plastique nazie et sado-masochiste. Requiem Chevalier Vampire présente souvent une espèce de fascination visuelle pleine de noirceur pour les symboles du nazisme : costumes, swastikas... Le héros de la série, celui à qui le lecteur s'identifie, est lui-même un nazi. On peut aller chercher une lointaine comparaison en citant un film de Liliana Cavani : Il Portiere di notte (Portier de Nuit), qui, a sa sortie, avait beaucoup déplu à la critique pour cette manipulation osée des symboles du nazisme et du fétichisme.
Tous les albums de Requiem Chevalier Vampire sont parfaitement rythmés, avec une introduction qui nous ramène à un épisode de la vie passée de l'un des personnages et une conclusion qui relance toujours un certain suspense. On a l'impression que Requiem Chevalier Vampire veut battre, à chaque nouvelle parution, son propre record ; celui de l'album au baroquisme narratif et visuel le plus élevé. Chaque album comporte son lot de virtuosité, avec des batailles, des scènes d'action et de combat.


Mills et Ledroit, avec Requiem Chevalier Vampire, imposent une performance inédite, qui brise les conventions sclérosées dans lesquelles s'empâtent certains auteurs BD. Reste à espérer une chose : que Requiem Chevalier Vampire ne s'enfonce pas dans les limbes de la redondance comme Chroniques de la lune noire. A force de trop rallonger la sauce, la qualité globale d'une série peut décliner dangereusement. Selon les plus récentes interviews, Mills et Ledroit souhaitent boucler la série au douzième album. Wait and See.


Liste des albums (à jour au 18 février 2008) :

Tome 1 - Résurrection (2000)
Tome 2 - Danse Macabre (2001)
Tome 3 - Dracula (2002)
Tome 4 - Le Bal des Vampires (2003)
Tome 5 - Dragon Blitz (2004)
Tome 6 - Hellfire club (2005)
Tome 7 - Le couvent des soeurs de sang (2007)