8.5/10Les Rêves de Milton - Tomes 1 et 2

/ Critique - écrit par iscarioth, le 04/11/2006
Notre verdict : 8.5/10 - Terreur psychologique (Fiche technique)

Tags : milton tome reves mael ricard pages fejard

Critique des tomes 1 et 2 : une oeuvre intense et profonde qui nous extirpe à nos habitudes de lecteur. Un diptyque terriblement ambiancé, une claque psychologique et graphique.

1930, Caroline du Nord, Etats-Unis. Loin des usines et de la ville, la campagne aussi connaît sa grande crise. La sécheresse fait des ravages, la récolte de cette année sera quasi-nulle. La famille Cry doit se résoudre à vendre ses terres et à s'exiler vers l'ouest.

Ne vous fiez pas aux apparences !

Deux éléments peuvent éloigner l'acheteur potentiel de cet album : les auteurs, tout d'abord, qui ne sont pas parmi les plus « starisés » de la bande dessinée franco-belge. Le trio surprend pour sa publication dans la prestigieuse collection Aire Libre, qu'on est habitué à voir accueillir les plus grosses pointures du moment. « Des livres prestigieux, réalisés par les meilleurs auteurs de bande dessinée actuels » nous confirme Dupuis pour définir sa collection. Après lecture, on peut bien se rendre compte que Maël, Féjard et Ricard ne font pas du tout honte au fameux label. Mieux, leur oeuvre peut passer dans l'estime bien au dessus de la performance de certains auteurs à la réputation plus étendue. Deuxième aspect non attractif pour cette bande dessinée : le dessin. Au feuilletage, Les Rêves de Milton déplait à beaucoup. L'album semble difficile à pénétrer graphiquement tant le trait du dessinateur est stylisé. Une fois la lecture du premier tome achevée, on se rend compte de toute l'absurdité de nos préjugés. Fréjard et Ricard n'ont peut être pas un « pedigree de luxe » mais ce qu'ils nous proposent ici n'a rien de l'oeuvre débutante. Le dessin de Maël, à coté duquel celui de Cyril Bonin passerait pour ultra réaliste et académique, se révèle époustouflant de qualité et de justesse.

Psychologique et profond

Les rêves de Milton, c'est tout d'abord une ambiance, très terne et brumeuse, perceptible au feuilletage avec cette colorisation aux tons glacés. Un graphisme qui confère au récit, en plus d'une froideur, une grande rage visuelle. Les scènes de violence (celle d'introduction du premier tome) et de cauchemars sont retranscris avec terreur. Une colorisation impulsive, avec des rouges qui tranchent sèchement d'avec une palette presque morne mais aussi des traits nombreux et tremblants, s'acharnant sur des visages aux mines fatiguées. Les personnages sont tous très durement marqués par la fatigue et l'extrême maigreur. Les auteurs n'insistent pourtant pas sur cet aspect, mais la simple réalité, non soulignée, suffit pour retenir l'attention. Les pommettes très saillantes, les jambes d'une petite fille aux rotules proéminentes et aux cuisses maigrelettes... Le diptyque nous plonge littéralement dans la pauvreté et la détresse la plus extrême. Ambiance graphique mais aussi scénaristique. Avec les Rêves de Milton, pas de héros, pas de gentils ni de méchants, juste des salauds potentiels. A aucun moment de la lecture on n'est convaincu du comportement véritable de chacun des protagonistes. Le premier tome est un grand mystère : même une fois sa lecture achevée, la couverture restera toujours aussi énigmatique et incertaine. Une lecture appropriée aux bédéphiles fatigués des stéréotypes et du manichéisme. Le personnage principal, Billy, est peut être le plus profond et mystérieux. Le lecteur le découvre tout d'abord dans la pureté et l'innocence de l'enfance, complètement souillée, dès les premières pages, pour le retrouver ensuite adolescent, diminué et meurtri, se terrant sous sa cruauté et ses tentatives de manipulation...

Du souffle et de l'endurance

Le deuxième tome, tout en restant très proche des personnages, nous emmène du coté de l'intrigue policière, de manière plus prononcée. Les meurtres s'accumulent sur le chemin des frères Billy et Milton, et des enquêteurs finissent par se consacrer à l'affaire. Jusqu'à la dernière planche, le mystère reste intense. Les suspects se portent sur les deux frères, mais le tueur pourrait tout aussi bien être autre. Le final peut décevoir pour deux raisons : tout d'abord il peut laisser le lecteur sur sa faim et ensuite verse dans la scène un peu too much et usée du méchant qui se dévoile dans tout son sadisme. Le principal est tout de même là : Les rêves de Milton reste une histoire cohérente, du début à la fin, tant scénaristiquement, avec une ambiguïté et une force psychologique continue, que graphiquement, avec une ambiance pensante et constante.


Les Rêves de Milton est l'une des meilleures histoires sorties par Aire Libre ces derniers temps. Une oeuvre intense et profonde qui nous extirpe à nos habitudes de lecteur. Un diptyque terriblement ambiancé, une claque psychologique et graphique.