7.5/10Les Serpents aveugles

/ Critique - écrit par Danorah, le 09/09/2008
Notre verdict : 7.5/10 - La vengeance du serpent sans plume (Fiche technique)

Une histoire politico-policière sombre et bien pensée, délicatement assaisonnée d'une pincée de fantastique et baignée d'une atmosphère plus mélancolique que réellement haletante. Une jolie réussite graphique et scénaristique.

Décidément, la bande dessinée espagnole a le vent en poupe chez Dargaud. Entre le séduisant Jazz Maynard de Raule et Ibañez, le sympathique Mano en mano d'Ana Mirallès et Emilio Ruiz, et l'attendrissant Odi's Blog de Moral et Garcia, on ne sait plus où donner de la tête. Voici donc encore un nouveau venu, avec cette fois Cava et Segui aux commandes. Toujours aussi intéressant graphiquement, Les Serpents aveugles offre en outre une histoire politico-policière sombre et bien pensée, délicatement assaisonnée d'une pincée de fantastique et baignée d'une atmosphère plus mélancolique que réellement haletante.

Un mystérieux inconnu coiffé d'un chapeau rouge débarque à New York en 1939, dans une pension miteuse où il pense finir par cueillir la personne qu'il cherche :
Ben Koch, lui aussi inconnu et mystérieux, mais dont le passé ne semble pas tout à fait immaculé. S'ensuit une narration tout sauf linéaire, qui bouscule allègrement les repères chronologiques. Prenez votre courage à deux mains et accrochez-vous aux indications de dates (pernicieusement nichées dans des recoins) si vous voulez y comprendre quelque chose. Quelques notions d'histoire mondiale du XXe siècle seront également les bienvenues pour saisir toutes les subtilités du récit. Car ballotés entre l'Espagne et les Etats-Unis, les personnages s'engagent auprès de diverses branches communistes, participent à des luttes armées, se font la guerre, évoluent en plein conflit entre franquistes et communistes, le tout sans aucun éclairage historique de la part des auteurs.

Alors, certes, le scénario n'est pas des plus limpides ni des plus accessibles. Ce qui ne l'empêche pas de tenir la route, et le lecteur en haleine, grâce à une bonne dose de mystère savamment distillée tout au long de l'intrigue. Car ce sont les destins de deux individus en particulier que Cava s'attache à retracer - et au milieu des histoires troubles, des morts simulées et des changements de patronymes, l'affaire n'est pas simple. Si chaque protagoniste conserve une gigantesque part
d'ombre, le peu qui en est révélé suffit à en brosser des portraits entre chien et loup, loin de tout manichéisme : dans Les Serpents aveugles, personne n'est vraiment tout blanc, tout le monde tire plutôt vers le gris, et bien malin celui qui saura démêler le vrai du faux dans cet incessant jeu de dupes.

On se délectera du dessin de Segui, de son trait noir et gras, de ses trognes patibulaires, de sa peinture de la ville de New-York et de ses couleurs enfumées qui confèrent à l'album un impressionnant relief. Et qu'importe si le scénario comporte des zones d'ombre, conserve certaines interrogations en suspens et laisse flotter quelques incompréhensions ; la touche de fantastique qui intervient en fin de volume et la mélancolie désabusée sur laquelle il se clôt achève de remporter l'adhésion. Ce n'est donc pas encore cette fois que l'on se déclarera lassé des auteurs espagnols ; au contraire, on en redemande !