9/10Suspiria

/ Critique - écrit par Lestat, le 24/03/2008
Notre verdict : 9/10 - Danse macabre (Fiche technique)

Tags : film suspiria films guadagnino argento cinema luca

Un classique de l'horreur signé Argento

Pour beaucoup, la carrière d'Argento s'est arrêtée un certain jour de 1977, alors que, au plus haut de sa mégalomanie et de sa dépendance aux psychotropes, il accouchait de Suspiria, qui restera, pour le meilleur et pour le pire son film le plus marquant. Pour le pire, car Suspiria a depuis entièrement phagocyté la carrière d'Argento. Preuve en est, quand on daigne citer le maître dans les dictionnaires spécialisés, c'est toujours ce film qui ressort, au détriment d'oeuvres plus modestes, et parfois radicalement différentes, qui gagnent toutes autant à être connues. De là, osons poser la question : Suspiria est-il le meilleur film d'Argento ? Oui, non, peut être. C'est vrai qu'en se penchant vraiment sur la question, on est en droit de trouver Inferno plus intriguant, l'Oiseau au Plumage de Cristal mieux écrit, Les Frissons de l'Angoisse mieux construit, le Syndrome de Stendhal plus humble ou le Chat à Neuf Queues mieux rythmé. On peut aussi affirmer sans se tromper que Mario Bava, notamment avec Lisa et le Diable, avait bien déblayé le terrain. Mais il y a une chose qu'on ne pourra jamais enlever à Suspiria : le fait d'avoir élever le film d'horreur au rang d'oeuvre d'art, en créant un choc esthétique comme le 7ème art en rencontrera rarement.

(c) éditions Wild Side
(c) éditions Wild Side
Aussi étrange que cela puisse paraître, Argento, avec Suspiria, aborde pour la première fois le fantastique de front. Ses premiers gialli n'ont jamais été aussi ouvertement surnaturels, quand bien même Les Frissons de l'Angoisse se pare d'une certaine ambiguïté à ce niveau. Suspiria débute d'ailleurs comme un giallo, preuve qu'Argento n'a pas perdu ses vieilles habitudes : fraîchement arrivée en Allemagne, la jeune Suzy croise furtivement la future victime d'un meurtre particulièrement graphique. Quitte à être de mauvaise foi, on peut même affirmer que l'on nage ici dans un début d'intrigue très classique dans le registre. Qu'importe, car Argento ne s'intéresse pas beaucoup à son scénario -par ailleurs simple et linéaire-, ce qu'il veut, c'est créer une expérience sensorielle, qui passera entièrement par les images et le son. Le décor est rapidement planté : Susy marche dans l'aéroport, passe les dernières portes... et se fait accueillir par un orage qui gronde. En quelques minutes, la messe est dite. La réalité est chassée par les trombes d'eaux et la musique des Goblins. Suspiria peut s'installer.

"Witch, Witch..."

Au premier abord, Suspiria se construit comme une sorte de film gothique moderne. Le trajet en taxi de Suzy, à travers un Fribourg détrempé, renvoie ainsi aux voyages en calèche mouvementés qui causaient bien des courbatures aux héros de la Hammer, alors que de fulgurants éclairages bleus nous rappellent les feux follets illuminant la Nuit de Walspurgis. (c) éditions Wild Side
(c) éditions Wild Side
L'école de danse est une bâtisse lugubre et le récit en lui même, finalement, a tout du conte de fée : jeune fille pure et innocente, sorcières... mais pas vraiment de prince charmant. Suspiria, un film féministe ? On pourrait rappeler ici que Dario Argento a toujours fait étalage d'une certaine fascination pour les femmes, fascination qui vire au malsain le plus complet lorsqu'il filme sa fille. L'amusant de la chose est que ce point précis de Suspiria nous renvoie implicitement aux origines même de la sorcellerie, où lesdites sorcières n'étaient souvent que des femmes libérées, ce qui détonnait avec les moeurs de l'époque. De là à dire que les inquisiteurs faisaient d'une pierre deux coups en châtiant les femmes de mauvais genre...

Si l'on peut trouver dans cette tonalité gothique une justification du visuel excentrique de Suspiria, il ne se justifie pleinement qu'en prenant le film sous l'angle du cauchemar. Il n'est alors pas étonnant de dénicher, parmi les influences de Suspiria, les errances tortueuses du cinéma expressionniste allemand. Un film semble se détacher du lot : Le Cabinet du Dr Caligari, dont Argento reprend l'aspect biscornu, les lignes de fuite brisées et le perturbant onirisme, qu'il agrémente de rouge, de bleu, de jaune, chaque nuance faisant évoluer l'héroïne dans une sorte de bain coloré qui l'amène au plus profond de l'étrange. (c) éditions Wild Side
(c) éditions Wild Side
Fribourg, vidée de ses habitants, parcourue d'ombres menaçantes, devient alors une sorte de microcosme bariolé et maudit, hantée par un tueur aux yeux de chat et dominée par la figure imposante d'une sorte d'antichambre infernale où se rassemble toutes les peurs. Là où la tendance veut que le fantastique s’immisce dans la réalité des choses, Argento fait précisément de la réalité une sorte d'anomalie, une excroissance blafarde propre à n'être que corrompue par des puissances supérieures. L'humain dans tout cela n'est plus qu'un amas de chair sanguinolent, jouet de mises à mort grand-guignolesques susceptibles d’amuser quelques démons.

(c) éditions Wild Side
(c) éditions Wild Side
Au regard de tout ceci et des arguments que vous-mêmes ne manquerez pas d'apporter, osons reposer la question : Suspiria est-il le meilleur film d'Argento ? A la réflexion, la réponse n'est finalement pas très intéressante et mérite de rester en suspens. De là même façon, votre serviteur se permet ici de laisser la notion de chef d'oeuvre à Inferno. Suspiria en revanche est peut être la plus belle hallucination jamais portée sur un écran. Certains diront que c'est l'oeuvre d'un fou, d'un drogué ou d'un mythomane. Il est vrai que, de la même manière que ceux soufrant de l'une ou de l'autre de ces pathologies, Argento paraît victime d'une lucidité exacerbée qui déforme ses codes, ses obsessions, ses tics, pour en faire une synthèse presque grotesque de son cinéma. Un gros shoot qui frise l'overdose, dont spectateurs comme cinéastes ne se remettront jamais vraiment.