1/10Joypad n°142

/ Critique - écrit par camite, le 17/06/2004
Notre verdict : 1/10 - No Future (Fiche technique)

Critique du numéro 142

Mai 2003. Suite au rachat de Hachette Digital Presse par le groupe anglais Future Network, une (grande) partie de la rédaction de Joypad quitte le magazine en faisant jouer la « fameuse » clause de conscience. Pour remplacer les légendes qui deviendront des Dieux vivants un an plus tard avec la mort de Gaming : une savante mixture à base de Future et de FJM. Le résultat : un an durant, l'illusion fonctionne grâce à la maquette traditionnelle et aux efforts de Julien Chièze ou Karine Nitkiewicz. Février 2004 : deux autres membres de la team historique, Angel Davila et Julien Hubert, quittent le navire à leur tour. Tristan Ducluzeau, presque trop doué pour écrire dans un magazine de ce type, les imite au terme de six mois passés au sein de la rédaction. Un projet de nouvelle formule pointe le bout de son nez, certains parlent d'évolution vers un ton mature dans la lignée du Edge britannique.

Juin 2004, la bête arrive dans les kiosques. Format plus petit, portrait d'un créateur de jeu, chronique jus de cerveau... Gaming (ou son cadavre) continue d'éclabousser le paysage déprimant de la presse jeux vidéo française. Mais sinon, le nouveau Joypad ? Une régression remarquable qui a déjà réussi un exploit : décourager une partie de son lectorat jusqu'au plus fidèle (Sreets of Rage, souvenir ému d'une époque où nous avions encore l'âge mental - immuable celui-ci - des rédacteurs de cette presse).

Premier contact, visuel. La maquette. PlayStation2 Magazine ? Jeux Vidéo Magazine ? Le nouveau Consoles+ ? Tout ça en même temps ? A l'évidence, les Kévin Mag trouvent leur style commun. Au menu : 2-hits-combo de Carmen Electra, « superbes » visuels militaires, Pascal Obispo et son boa rose fluo en grand format, screenshots sorties d'on ne sait quel émulateur bugué, périmées, en double, pixellisées (merci Internet... et dire que j'avais honte de faire la même chose dans un fanzine scolaire à diffusion interne, fallait pas)... Au moins, une brève peut remplir allègrement une page entière. Allons allons, ne paniquons pas trop vite. Toutes les filles moches sont intelligentes, c'est connu. Intéressons-nous donc au contenu.

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Teck Hao Tea, rédacteur en chef, dans son éditorial : «Le jeu vidéo évolue, vos goûts et vos desiderata aussi, et on ne voulait pas rater cela». Ainsi, le jeu vidéo évolue. Soit. Depuis un ou deux ans, la presse spécialisée évolue elle aussi. Chaque mois plus loin, en marche arrière. Avec une véhémence telle que l'on finit par s'entendre dire régulièrement cette fois, au moins, ils ne pourront pas faire pire. Et pourtant, les professionnels de la frontière journalisme/communication repoussent inlassablement les limites de la vacuité. A moins qu'aveuglés par la mauvaise foi, une évolution dans le mauvais sens des joueurs que nous sommes béatement nous ait échappé. Pourtant, Joypad devient «plus ouvert encore sur le monde sans cesse plus large du jeu vidéo». Dès la page 14, la revue compte bien apporter sa pierre au processus de légitimation et pose LA question essentielle : «Ça rend vraiment dingue la violence dans le jeu vidéo ?». Un grand coup de pied dans la fourmilière, assurément.

Mais non contente de perdre ses lecteurs anciens depuis quelques temps, la presse jeux vidéo se protège soigneusement de tout renouvellement avec ses raisonnements obscurs et ses formulations alambiquées. Test de Breakdown : «S'affranchir des poncifs du FPS et tenter de décupler les sensations en balayant les nombreux carcans qui troublent le genre (...) Sous cette impulsion, le First Person Shooter traditionnel s'ouvre délicatement à une nouvelle acception, délaissant le « simple » FPS pour accueillir à bras ouverts Breakdown, noble ambassadeur du First Person Simulator ! (...) Ici, narration et action semblent fusionner grâce à une mise en scène qui trace, fusillant les fioritures pour foncer sur l'efficacité (...) Breakdown balaie les critiques pour faire triompher le ressenti au détriment du vil factuel». Un jeu qui fait le ménage, donc. Snif snif, tant de poésie, cela émeut. Mais inutile de pester devant un tel déballage de linge sans prélavage puisque la raison fondamentale apparaît comme par enchantement au sein même de l'article : «Joypad a toujours souhaité encourager les titres qui prenaient des risques». Et des lecteurs oseraient tirer sur pareille ambulance ? Les ingrats.

Un truc de fou, j'vous dis, façon old school style qui déchire tout tac tac zéro conceçao. Pulvérisées les critiques à coup de grande baffe métaphysique. Et je vous rassure, je peux continuer longtemps comme ça. Ce style inimitable, vous l'avez reconnu. Le fringant, sémillant, surpuissant Julien Chièze tombe dans l'autocaricature et le reste de l'équipe suit la sinueuse route stylistique tracée par quinze ans d'avant-gardisme linguistique. Larme d'extase, gameplay foudroyant de justesse, puissance intellectuelle intrinsèque, jubilation extrême, réalisme exorbitant à chaque coin de page... L'esprit totale emphase échappé d'un communiqué de presse du mythique supplément janvier 2004 s'impose naturellement en dépit des décalages comiques qui en résultent (haha, Drakengard, quelle bonne blague).

Par ailleurs, les amateurs de saines lectures genre Lyonpeople.com se réjouiront de la présence de la page « Joyparty » (des « gens » jouant à Singstar lors d'une soirée canapés-cocktails-petits-fours Sony). Côté rubrique annexe, « Au-delà du Pad » vous recommande chaudement d'aller voir Kill Bill 2 et de lire des mangas, des fois que votre esprit de nerd ignore encore ce genre de culture. Bien bien. Et maintenant ? «Participez et communiez avec nous au travers de l'Enquête Lecteurs» propose Teck Hao Tea. Encore faudrait-il le rester, lecteur, après un tel tour de passe-passe qualitatif.

Fin de l'avortement professionnel en ce qui me concerne, et 1/10 pour le boulot, parce que boucler un magazine, même mauvais, représente une masse de travail conséquente. Et comme dirait un certain génie proclamé de la critique vidéoludique, je sais de quoi je parle.